Votre entreprise est-elle prête pour la loi relative à la protection des lanceurs d’alerte?

Votre entreprise est-elle prête pour la loi relative à la protection des lanceurs d’alerte?

Après les entreprises d’au moins 250 travailleurs[1], c’est au tour des entreprises[2] d’au moins 50 travailleurs de mettre en place un canal de signalement interne. La date limite du 17 décembre 2023 approche. Dans cette newsletter, nous soulignons un certain nombre de points d’attention pratiques que les entreprises devraient prendre en considération lors de la mise en place d’un canal de signalement interne et dans l’élaboration d’un système de lanceurs d’alerte.

L’entreprise a déjà mis en place un système de lanceurs d’alerte….n’est-ce pas suffisant ?  

Votre entreprise a peut-être déjà mis en place un système de lanceurs d’alerte qui permet aux travailleurs de signaler des irrégularités relatives au code de conduite professionnelle (« code de conduite« ), aux comportements indésirables au travail, à la corruption, à la fraude, aux délits d’initiés,…

Toutefois, cela ne signifie pas que vous pouvez ignorer les dispositions de la loi sur les lanceurs d’alerte. En effet, la loi sur les lanceurs d’alerte contient une liste (minimale) de domaines pour lesquels il est possible de signaler des violations. En outre, ces signalements doivent être effectués dans le cadre prescrit par la loi sur les lanceurs d’alerte. Les entreprises qui disposent déjà d’un système de lanceurs d’alerte feraient bien de vérifier dans quelle mesure il est nécessaire d’adapter leur propre système.

L’entreprise fait partie d’un  groupe international. Le groupe travaille avec un prestataire de services externe qui fournit un outil  de lanceurs d’alerte (hotline, plate-forme) utilisé pour l’ensemble du groupe, y compris la filiale belge. Est-ce autorisé ?

Selon les lignes directrices de la Commission Européenne, il ne suffit pas de maintenir un système central de lanceurs d’alerte au niveau du groupe. Les filiales (entités juridiques comptant au moins 50 travailleurs) doivent également disposer de leur propre canal de signalement interne.

Toutefois, même si la Directive et la Loi sur les lanceurs d’alerte[3] ne permettent pas de tirer des conclusions à cet égard, il semble que l’on puisse défendre, sur la base d’une interprétation pragmatique des obligations légales, que le maintien d’une plate-forme technique commune par le groupe, mais dans laquelle il existe un canal spécifique pour l’entité belge (numéro de hotline belge et/ou une page spécifique pour la Belgique[4] , et/ou une adresse e-mail belge,…), suffit pour pouvoir parler d’un « canal propre » à l’entité juridique belge.

En outre, les filiales comptant moins de 250 travailleurs ont la possibilité de partager des ressources et d’utiliser la capacité d’enquête de la société mère pour la réception des signalements et des enquêtes éventuelles à mener[5].

Qui dois-je désigner comme gestionnaire de signalement (« whistleblower officer « ) ?

L’entreprise dispose d’une certaine liberté pour désigner le(s) gestionnaire(s) de signalement. Il est seulement exigé que le gestionnaire de signalement soit indépendant et n’ait pas de conflit d’intérêts. Le gestionnaire de signalement ne peut pas recevoir d’instructions sur le traitement d’un cas concret et doit pouvoir rendre compte directement au chef d’entreprise.

Il est donc possible de désigner, par exemple, le responsable des ressources humaines comme gestionnaire de signalement, mais cette désignation pourrait être conflictuelle dans le cas d’un rapport sur la fraude sociale. 

Un travailleur fait un signalement… et maintenant ?

La mise en place d’un canal de signalement interne est une chose. Il est d’autant plus important d’élaborer un système qui permette à l’entreprise d’assurer un suivi adéquat au signalement. Cela implique qu’il faut vérifier si les allégations formulées dans le rapport sont correctes et éventuellement remédier à la violation. Dans la pratique, cela se traduit souvent par la nécessité d’ouvrir une enquête interne.

La loi sur les lanceurs d’alerte elle-même ne précise pas comment mener à bien une enquête interne, ni quelles sont les exigences auxquelles une enquête interne doit répondre. Il est donc recommandé que l’entreprise élabore de manière proactive une feuille de route interne qui servira de ligne directrice pour l’enquête interne. Étant donné que la nature des rapports peut être très diverse, chaque rapport nécessite un suivi et une approche spécifique. Néanmoins, certaines questions reviendront dans chaque enquête interne :

  • Sur quoi porte la violation ? Quelles sont les allégations qui doivent faire l’objet d’une enquête ? Quelle est la meilleure façon d’enquêter sur ces allégations ?
  • Qui fait partie de l’équipe d’enquête ? Gardez à l’esprit les conflits d’intérêts potentiels.
  • L’entreprise dispose-t-elle, elle-même, de ressources suffisantes en matière d’enquête ? Serait-il utile de faire appel à un enquêteur externe (par exemple un expert) ?
  • Quels sont les actes d’enquête appropriés (par exemple, vérification des courriels) ?….
  • Comment puis-je remédier à une violation ? Y a-t-il des préoccupations supplémentaires lorsque je prends des mesures et/ou des sanctions à l’encontre des employés (par exemple, un licenciement pour motif grave) ? ….

Puis-je prendre n’importe quelle mesures d’enquête lorsqu’il y a un signalement

Non. Dans tout acte d’enquête, il faut vérifier qu’il n’y ait pas de restrictions légales. Par exemple, la surveillance de l’utilisation de l’internet et du courrier électronique n’est possible que si les exigences de la CCT n° 81 sont respectées. Il peut donc être utile d’examiner si l’entreprise peut prendre dès à présent et de manière proactive des mesures supplémentaires pour permettre ultérieurement certains actes d’enquête.

Qu’en est-il de la personne de confiance et du conseiller en prévention des risques psychosociaux ?

La loi sur les lanceurs d’alerte ne modifie pas les compétences de la personne de confiance et du conseiller en prévention des risques psychosociaux. Ils restent compétents pour les aspects psychosociaux au travail. 

Par soucis d’exhaustivité, la désignation d’une personne de confiance dans toutes les entreprises d’au moins 50 travailleurs deviendra obligatoire à partir du 1 décembre 2023.

Pièges fréquents

L’analyse de différents systèmes de lanceurs d’alerte montre que les entreprises négligent régulièrement les éléments suivants :

  • Respect des lois sur l’emploi des langues ;
  • On oublie d’informer les travailleurs sur l’existence des canaux de signalement externes ;
  • Oubli des délais légaux, à savoir la confirmation de la réception d’un signalement dans le sept jours; la fourniture d’un retour d’information(s) au lanceur d’alertes dans les trois mois suivant la confirmation de la réception. Attention, ce dernier délai ne siginifie pas que l’enquête (interne) doit également être effectivement achevée dans le trois mois.
  • On n’autorise un signalement par le biais d’un canal de signalement externe que si un signalement par le biais du canal de signalement interne s’est avéré inefficace alors que le travailleur a le choix de passer soit par le canal de signalement interne, soit par le canal de signalement externe;
  • Conformité avec les exigences du GDPR.

[1] Et les entreprises du secteur financier relevant du champ d’application des dispositions relatives aux services, produits ou marchés financiers et/ou au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, pour lesquelles la loi est déjà entrée en vigueur le 15 février 2023 et ce quel que soit le nombre de travailleurs.

[2] Entité juridique du secteur privé.

[3] Loi du 28 novembre 2022 relative à la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privée, M.B. 15 décembre 2022.

[4] Dans la langue correcte, conformément aux exigences de la législation sur l’emploi des langues.

[5] Toutefois, selon les lignes directrices de la Commission Européenne, la personne ayant signalé la violation aurait le droit de s’opposer à ce que son rapport fasse l’objet d’une enquête au niveau de la société mère et peut demander que le comportement signalé fasse l’objet d’une enquête uniquement au niveau de la filiale.

Écrit par

  • Emma Van Caenegem

    Counsel

  • Esther Soetens

    Counsel